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Publié le 28 mai 2025avec Khiplace 💬

Comprendre la réalité : pourquoi notre perspective est limitiée. Par Philippe Desfossés, Chargé de mission Conseil Général de l'Economie

Notre perception de la réalité, même lorsque nous sommes convaincus de la voir fidèlement, est souvent limitée et déformée. Un exemple frappant pour illustrer cette idée vient des projections cartographiques, comme celle utilisée pour représenter la Terre. Lorsque nous regardons une carte, notamment celles où un pays comme la France est placé au centre, la taille des régions est déformée. Cette déformation est d'autant plus importante que les régions sont éloignées du centre de la projection. Ce phénomène s'explique par la relation entre la surface réelle d'une région sur une sphère (comme la Terre) et sa surface projetée à plat. Dans une projection orthographique (où l'on regarde la sphère comme depuis l'espace), la surface projetée d'un domaine varie fortement selon sa position. Les zones proches du centre de la projection présentent une distorsion minimale, tandis que les zones plus vastes s'étendant vers les bords du disque projeté sont considérablement écrasées ou "sous-représentées". Mathématiquement, le rapport entre la surface réelle et la surface projetée a tendance à augmenter considérablement (le ratio Aire réelle / Aire projetée tendant vers l'infini) à mesure que l'on s'approche des bords du disque projeté. Cela signifie qu'une région située vers l'horizon dans cette projection voit sa surface réelle largement sous-estimée sur la carte. L'Afrique est donnée comme un exemple particulier de cette illustration. Pour une demi-sphère entière projetée sur un disque, le rapport maximal entre la surface réelle (qui est de 2πR²) et la surface projetée (qui est de πR²) est de 2 pour 1. Autrement dit, la surface réelle d'une demi-sphère est deux fois celle du disque qui la représente dans cette projection. Ce concept de perception limitée et déformée en fonction du point d'observation peut servir de métaphore pour comprendre l'importance de l'empathie, notamment dans des situations de conflit. Imaginez une sphère divisée en deux demi-sphères de couleurs différentes (blanc et noir) représentant des positions opposées. Dans un conflit, chaque protagoniste regarde la même "sphère" mais la voit différemment (l'un la voit noire, l'autre blanche). Lorsque je me place au centre de ma propre perspective (ma "demi-sphère"), je ne vois qu'une partie de la réalité, et cette vision est d'autant plus déformée que j'observe des aspects éloignés de mon point central. C'est pourquoi certaines émotions ressenties face à des conflits peuvent être difficiles à comprendre pour des populations éloignées qui ont une perspective différente. Pour avoir une meilleure perception de la réalité dans de telles situations, il faut se décentrer. Cependant, un petit déplacement ne suffit pas. Pour commencer à apercevoir la position ou les arguments de l'autre partie (l'autre "demi-sphère"), l'angle de notre déplacement par rapport à notre centre doit dépasser 45 degrés. Ce n'est qu'en parcourant "la moitié du chemin" vers la position de l'adversaire que l'on peut réellement commencer à voir et potentiellement comprendre ses arguments, voire réaliser qu'il pourrait avoir raison. Un déplacement plus important (-90° ou +90°) permettrait de voir une moitié de sa propre perspective et une moitié de celle de l'autre. Accepter de se décentrer et de "se mettre à la place des autres" ("in other people's shoes") pourrait réduire notre tendance à trouver rapidement des raisons de s'opposer ou de débuter un conflit. Comme le suggère une citation, il existe de nombreuses façons de voir le monde et de nombreuses façons de déclencher des désaccords
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